La Francophonie, un chemin à parcourir

Anna Paola Soncini, Loredana Trovato | | DOI: 10.17457/IF/2024/ST | Texte intégral

La nature polysémique du terme « parcours » illustre bien la dimension et la valeur de ce numéro, qui se présente comme un « chemin », une « distance », un « trajet » à suivre, à accomplir. Dans ce cas spécifique, ce parcours est à effectuer en suivant le trajet parfois accidenté (mais jamais accidentel) des cultures francophones, qui se déploie de l’Afrique à l’Amérique, sans oublier les continents européen et asiatique, ainsi que les populations océaniennes. En raison de son évolution historique, la Francophonie embrasse des civilisations et des langues diverses : d’où sa dimension actuelle de langue-culture ouverte aux stimuli venant des quatre coins de la planète, où le français est une langue en partage et a acquis progressivement une dimension kaléidoscopique, qui ne correspond plus, de manière exclusive, aux six côtés de l’hexagone. Envisager la francophonie comme les combinaisons infinies d’images aux multiples couleurs d’un kaléidoscope nous permet d’en comprendre la ferveur et la grande capacité de se réinventer au fil du temps, de suivre l’évolution et les besoins des communautés qui en font partie, d’actualiser ses formes et ses modalités d’expression grâce à la plume de ses écrivains et au regard intense des peuples qui l’habitent.

«Ben là j’parle p’têt’ pas le français de France, mais oui j’parle français» : sous-titrage et traduction intralinguale dans Mommy de Xavier Dolan

Myriam Vien | DOI: 10.17457/IF/2024/MV | Texte intégral

En mai 2012, Xavier Dolan affiche un carré rouge au Festival de Cannes en soutien à la grève étudiante au Québec, suscitant la critique de la journaliste Isabelle Maréchal. Dolan répond en évoquant l'inconfort des Québécois face à l'idée de « mal paraître » à l'international, un malaise également lié à l'accueil de ses films au Québec, en raison de l’utilisation du français québécois, jugé caricatural et difficilement exportable. Dans Mommy (2014), Dolan choisit de sous-titrer son propre film, traduisant le français québécois en français hexagonal. Ce travail de traduction intralinguale soulève des questions sur les hiérarchies linguistiques et la fidélité au « vrai » français québécois. L'article analyse comment Dolan manipule l'image du français québécois à travers les dialogues et les sous-titres, explorant le rôle symbolique et évocateur de la langue du et dans le cinéma. 

Identités gastronomiques italo-québécoises à travers les médias et le lexique. Quelle italianité?

Loredana Trovato | DOI: 10.17457/IF/2024/LT | Texte intégral

Cet article veut analyser le rôle de l’alimentation sur la définition de l’identité culturelle des Italiens au Québec, en mettant en lumière les stéréotypes associés au concept d’italianité à travers les médias et le lexique. Nous chercherons à souligner comment certains produits emblématiques de la cuisine italienne et certains lieux, comme les jardins et le Marché Jean-Talon, peuvent être considérés comme des lieux de mémoire et des symboles de la résilience des Italiens, qui ont voulu exprimer leur italianité, tout en essayant de s’intégrer progressivement à la culture québécoise. Nous analyserons quelques mots qui caractérisent le français québécois et qui arrivent de l’italien, ce qui nous permettra de montrer l’impact de cette communauté sur la société canadienne, pour terminer avec un bref aperçu de la rencontre inter- et multiculturelle des traditions gastronomiques, caractérisant les nouvelles générations. 

L’écriture comme transformation du sujet : réception italienne de l’œuvre de Jean Pélégri et nouvelles suggestions critiques

Francesca Todesco | DOI: 10.17457/IF/2024/FT | Texte intégral

L'étude retrace l'œuvre du pied-noir algérien Jean Pélégri à travers la lecture critique de sa réception italienne, exprimée par l'œuvre d'une spécialiste prématurément disparue, Anna Zoppellari. Mais le parcours dans ses travaux, en dialogue avec les recherches internationales, est l'occasion d'une relecture du roman Le Maboul, et de l'élaboration de nouvelles suggestions critiques. En mettant l'accent sur la matérialité du mot – dans une perspective éthique, axiologique, esthétique – l'analyse met en évidence les résonances phonétiques et les analogies, les anacoluthes, les ex abrupto, les syncopes syntaxiques et les tournures de phrase de ce roman « de la crise et du renouveau » : la théâtralisation d'une « pensée parlée » qui traduit la complexité du labyrinthe intérieur de l'esprit et devient le véhicule d'une réflexion intime complexe sur le destin et l'impondérabilité des actions humaines. Construit autour du désir, évoqué ou déclaré, d'un lieu impossible à atteindre – métaphore du rêve non réalisé d'une coexistence « solidaire et fraternelle » entre Français et Algériens, à l'aube de la guerre qui allait conduire à l'indépendance de l'Algérie –, le roman est également relu comme un récit de la disparition des utopies : l’essai identifie dans l'hétérotopie dysphorique de l'ambiguïté et de la désillusion une autre clé pour interpréter le parcours existentiel du protagoniste de ce « livre de la tabula rasa », traversé avec insistance par l'intonation, à la fois autoréférentielle et dialogique, du « questionnement ».

Le défi de la traduction d’œuvres hétérolingues : L'ambigua avventura de Cheikh Hamidou Kane

Cristina Schiavone | DOI: 10.17457/IF/2024/CS | Texte intégral

Lorsqu’on s’apprête à traduire les littératures francophones subsahariennes, dites aussi littératures hétérolingues (Grutman, 1997), la question culturelle est au cœur du processus de traduction. Dans ce cas précis, avant même le traducteur, c’est l’auteur africain subsaharien lui-même qui opère une transposition de sa langue maternelle dans une langue européenne. Sa langue d’écriture n’est, en fait, que le produit d’un contexte plurilingue, pluriculturel et polyglossique. En tenant compte de cette problématique, nous avons choisi d’analyser la traduction italienne du célèbre roman L’aventure ambiguë de l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane (1961). L’examen du texte source et du texte cible, focalisé précisément sur l’analyse de quelques éléments de l’appareil paratextuel, réalias ainsi que des métaphores, révèle les défis auxquels le traducteur doit faire face lorsqu’il aborde des textes hétérolingues subsahariens. Enfin, nous essayons d’énoncer quelques critères qui tracent le profil du bon traducteur de ce genre de textes. 

«Je (te) parle en innu.» La construction de la rencontre par les langues : le cas de «Muliats» des Productions Menuentakuan

Paola Puccini | DOI: 10.17457/IF/2024/PP | Texte intégral

La pièce Muliats, créée par les Productions Menuentakuan et publiée en 2021 par Charles Bender et al. aux Éditions Hannenorak met en scène un dialogue entre les auteurs et les destinataires, entre les cultures autochtone et allochtone. Mais quel dialogue est-il possible ? Quelles sont les conditions pour que le dialogue s’installe et une nouvelle relation puisse se construire ?  Quelle est la fonction de la traduction quand elle s’affiche dans le texte ou quand elle se dérobe ? Comment participe-t-elle de cette action de rapprochement que les auteurs de Muliats offrent à leurs destinataires ? 

Les emprunts autochtones au Québec: la description faite par le mouvement glossariste et le recensement à l'état actuel

Eleonora Marzi | DOI: 10.17457/IF/2024/EM | Texte intégral

Au sein de la lexicologie québécoise les emprunts autochtones représentent un point d'observation intéressant pour l'étude des contaminations culturelles, dans un moment historique où le débat autour de la reconnaissance des peuples autochtones vit un moment de grande vivacité. L'article, divisé en deux macro-parties, veut fournir une description lexicographique et lexicologique, en adoptant deux perspectives : la première, historique, qui se concentre sur la représentation des emprunts autochtones au sein du mouvement glossariste québécois (1880-1930) montrant un processus d'enrichissement des descriptions au fil des années. La deuxième, quantitative et qualitative, fournit un cadre complet des emprunts autochtones stables dans le français d'aujourd'hui. Le cadre qui résulte permet d'avancer des hypothèses autour de la stabilisation des emprunts par rapport à certains domaines de connaissance, leur diffusion intraculturelle et leur plasticité sémantique.

Nicolas Muller, passeur inattendu de Dante en Belgique. Étude et édition génétique du manuscrit AML 14673/9 (Par., XXXIII)

Fernando Funari | DOI: 10.17457/IF/2024/FF | Texte intégral

L’histoire de la réception du Paradis de Dante en Belgique francophone est l’histoire d’une absence. Les traducteurs belges semblent privilégier surtout les teintes sombres de l’Enfer (de Laminne, Vivier, Poirier, Delcourt, Desonay, Yourcenar, Cliff et, plus récemment, Amélie Nothomb, Jean-Pierre Pisetta et Jean-Philippe Toussaint) ; la troisième cantica reste pour l’essentiel ignorée ou visitée de manière occasionnelle, fragmentaire ou anthologique. Cet article vise à questionner cette absence, en prenant comme cas d’étude une présence : la traduction inédite du chant XXXIII du Paradis, réalisée (probablement autour de 1964) par Nicolas-Joseph Muller (1903-1978), dont les manuscrits sont conservés aux Archives et Musées de la Littérature de Bruxelles. Après avoir tracé un petit épitomé de la réception de Dante en Belgique francophone, nous tenterons une première lecture du ms. AML 14673/9/002 dans une perspective à la fois génétique et ecdotique. L’édition que l’on trouvera en fin de cet article se veut en ce sens non pas le but mais la prémisse d’une analyse profonde des processus cognitifs sous-tendant cette expérience traductive, utile pour enquêter – dans la selva oscura des ratures, des repentirs et des réécritures – le parcours intellectuel et humain d’un passeur inattendu de Dante en Belgique.

Évangélisation et énonciation (Les premiers catéchismes coloniaux français entre Foi, anthropologie et linguistique)

Alessandro Costantini | DOI: 10.17457/IF/2024/AC | Texte intégral

L’article examine la problématique de l’évangélisation coloniale, surtout aux XVIIe et XVIIIe ss., à travers l’analyse comparée de plus d’une dizaine de catéchismes coloniaux, pour la plupart d’origine française, mais ibérique aussi, à partir des modèles catéchétiques européens (protestants – Luther et Calvin – et catholiques de la Contre-Réforme). L’accent est mis en particulier sur deux catéchismes français, ceux du Père Breton pour la Caraïbe (1664) et du Père Caulier pour l’Océan Indien (Île Bourbon et Madagascar : 1785). Le texte des catéchismes fera l’objet de l’analyse, aussi bien que leur péritexte, mais on s’intéressera surtout à l’énonciation de ces textes, qui fera ressortir l’originalité absolue de deux d’entre eux, en tant que résultats de deux attitudes coloniales opposées : celle de l’évangélisation en tant que mission ad gentes, celle de l’évangélisation en fonction de la colonisation politico-économique. 

Une amitié qui a duré « l’espace d’un matin ». En souvenir d’Anna Zoppellari

Loredana Trovato | DOI: 10.17457/IF/2024/ANN | Texte intégral

J’ai connu Anna Zoppellari en juillet 2019, après avoir été nommée en qualité de professore associato en langue et linguistique françaises au Département des Sciences humaines de l’Université de Trieste. Pour moi, une sicilienne très ancrée à sa famille et à sa terre, c’était le commencement d’une nouvelle aventure académique, après une expérience professionnelle douloureuse que j’essayais de laisser derrière moi ; un départ stimulant, même si plein d’inconnues dans une ville étrangère et très éloignée de chez moi. Différentes sensations, émotions et sentiments m’ont accompagnée pendant cette période et tout au long du voyage de l’extrémité sud de la péninsule à l’extrême frontière est. ...