Sommaire

Valentin Feussi et Cristina Schiavone | Texte intégral

Actuellement, la diversité des langues est reconnue comme un atout pour l’humanité. Dans la vie des personnes ou institutions concernées par cette notion, cette dernière se catégorise par des concepts comme hybridité ou hétérogénéité notamment. Tout en privilégiant des perspectives (inter)disciplinaires, ce volume permet de comprendre quelques modalités de traductions de ce phénomène qui suppose des croisements de langues et de rencontres en langues. Cela se fera sous deux parties. La première partie privilégie une conception d’inspiration linguistique ou sociolinguistique des langues. Elle met prioritairement en œuvre une approche descriptive de rencontres entre langues européennes et africaines aussi sous l’angle du discours musical. Une deuxième partie des contributions s’appuie majoritairement sur des corpus littéraires pour expliciter les dimensions sociales des langues et des cultures dans des situations africaines. Il ne faut toutefois pas croire en ce découpage disciplinaire fait uniquement pour un besoin technique, l'organisation des articles de ce numéro. En fait, certaines contributions se veulent plutôt interdisciplinaires, du fait même des thématiques soulignées (exemples : la minoration, l’hétéroglossie ou la construction identitaire). Il s'agit de notions qui induisent un travail d’interprétation des rapports aux langues à partir d’expériences de personnes impliquées par les situations soulignées. Cette ouverture laisse également entrevoir des pistes encore implicites dans ces textes, celles de réflexions sur Différents enjeux politique des différents rapports aux langues. Le choix de les catégorisés sous les termes « diversité », « hybridité » n'est pas sans conséquences ou implications historiques et épistémologiques. Ce prolongement possible à ce volume reviendrait à faire écho au projet anthropologique d’un des premiers linguistes penseurs de la diversité des langues, W. von Humboldt, qui voit dans toute langue une vision du monde.

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I. Perspectives (socio)linguistiques

 

Nouchi, français ivoirien : quelles hybridités ?

Akissi Béatrice Boutin | DOI: 10.17457/IF/2020.BO| Texte intégral

La notion d’hybridité vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on évoque le nouchi (Kouadio N’Guessan 1992, Ahua 2007, 2008, Atsé N’Cho 2014, Tapé 2016, Boutin & Dodo 2018…). Dans les représentations savantes et non savantes, le nouchi est essentiellement le résultat d’un mélange ou métissage, autrement dit un hybride qui n’est plus ni totalement du français ni aucune autre langue africaine ou européenne, bien que toutes s’y retrouvent par certains traits. Nous nous posons la question de savoir si, d’une part, le nouchi a aussi recours à l’hybridité à d’autres niveaux de la langue, d’autre part si le français ivoirien qui est son support n’est pas déjà lui aussi largement hybride. Cela nous permet aussi d’approfondir la valeur heuristique du concept d’hybridité, notamment à l’aide des réflexions menées dans le courant des cultural studies, et des postcolonial studies (Bhabha 1994, Canagarajah 2012).

Diversité des langues, insécurité linguistique et minorisation au Cameroun

Valentin Feussi | DOI: 10.17457/IF/2020.FE | Texte intégral

La thématique l’insécurité linguistique (IL) semble pertinente pour réfléchir à une approche qualitative de la diversité linguistique, en interrogeant les aspects conflictuels des rapports aux langues. Cette contribution vise à montrer que par l’IL, cette diversité repose sur autre chose que le besoin de domination implicite aux connotations institutionnelles. Adossées à des expériences projetées sous une perspective individuelle, ce phénomène souligne également le point de vue du minorisé. À partir des « Anglophones » au Cameroun, nous montrerons qu’une démarche compréhensive et historique est pertinente en ce sens pour comprendre que l’insécurité n’a pas toujours de fondement linguistique et que la (dé)minorisation, comme la diversité, est aussi une expérience de soi.

Français, anglais, arabe ou wolof : l’aventure ambigüe de la revendication culturelle et linguistique des rappeurs sénégalais

Ousmane Ngom | DOI: 10.17457/IF/2020.NG | Texte intégral

Dans une société sénégalaise diversement influencée sur le plan historique, religieux, politique, linguistique, etc. les rappeurs se révèlent être de dynamiques agents culturels qui tentent de se forger une identité originale autour de la culture hip-hop. Durant les trois décennies d’existence de ce phénomène urbain juvénile, plusieurs courants se sont relayés, construisant différents discours et pratiques identitaires contraires et, souvent même, contradictoires. Il devient intéressant d’exposer et d’interroger ces positions qui peuvent aller du syncrétisme conscient au rejet total de la culture traditionnelle et de montrer les dynamiques toujours en œuvre pour une perpétuelle reconfiguration identitaire. 

Le senar et le français en situation de contact : le cas des créations hybrides dans les discours des locuteurs du senar (langue senufo du Burkina Faso)

Daouda Traoré | DOI: 10.17457/IF/2020.TR | Texte intégral

A observer de près la dynamique des langues à l’Ouest du Burkina Faso, on se rend à l’évidence que le jula n’est plus la seule langue dont la nette domination faisait jusqu’alors l’objet d’aucun débat. En effet la langue officielle du pays qu’est le français commence aussi à exercer une influence, certes beaucoup moins importante, mais de plus en plus croissante, dans cette partie du pays. A travers les différentes enquêtes de terrain que nous avons effectuées dans la commune rurale de Kankalaba, nous avons pu constater l’ampleur des emprunts au français dans les conversations quotidiennes des locuteurs du senar). L’une des conséquences les plus frappantes du contact entre le senar et le français dans cette commune du pays demeure sans conteste le recours de plus en plus prononcé à des mots composés impliquant les deux langues à la fois. En effet, pour désigner certaines réalités, le plus souvent nouvellement intégrées dans leur milieu, les locuteurs du senar ont recours à des termes composés constitués d’au moins deux segments appartenant à chacune des deux langues en contact (français/senar). C’est la nature bilingue de ces créations hybrides qui nous a interpellé et a suscité en nous un vif intérêt pour la présente étude qui vise de façon spécifique à : (1) Répertorier les différents types de créations hybrides contenues dans les interviews, du point de vue de leurs structures et de leurs natures ; (2) Décrire et expliquer le processus d’adaptation phonétique et phonologique des segments empruntés au français aux structures linguistiques du senar ; (3) Examiner la logique structurale et sémantique des créations hybrides.

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III. Perspectives littéraires

De quoi l’hybridation est-elle le symptôme chez Sami Tchak ?

Ozouf Sénamin Amedegnato | DOI: 10.17457/IF/2020.AM| Texte intégral

Cette contribution vise à illustrer le thème de l’hybridation dans l’écriture de l’écrivain Sami Tchak, exilé, transfuge culturel et intellectuel diasporique. Plus précisément, il s’agit de montrer comment l’entremêlement de plusieurs univers culturels, ainsi que le recours à une pléthore d’éléments intertextuels multipliant les réseaux et filiations, participent d’une stratégie qui permet à l’écrivain d’inscrire au cœur de sa démarche esthétique, le décentrement ainsi que l’éclatement des bulles identitaires. Le fonctionnement textuel d’une telle hybridité – car c’est bien de cela qu’il est question – sera ensuite analysé comme le symptôme d’un décadentisme fin-de-siècle.

Multilinguisme et hétéroglossie littéraire : le point sur l’homogénéisation en traduction

Paul F. Bandia | DOI: 10.17457/IF/2020.BA | Texte intégral

La traductologie postcoloniale s’est surtout centrée sur les stratégies utilisées par les sujets postcoloniaux afin de subvertir la langue, sujets qui, par le fait même, créent un discours contre-hégémonique et anti-colonialiste. La recherche dans ce domaine de la traductologie suit les courants développés dans les études postcoloniales, largement définies en terme de dichotomies basées sur les oppositions entre l’Occident et l’Orient, le colonisé et le colonisateur, le Sud et le Nord mondialisé. Bien que cette approche ait permis de développer la compréhension des phénomènes de multilinguisme et de la sociolinguistique des relations de pouvoir, elle a souvent omis de tenir compte des pratiques linguistiques propres à la postcolonie, des pratiques relativement autonomes et non subordonnées aux relations avec l’ancienne métropole coloniale. Le présent travail se penche sur l’hétérogénéité de la pratique langagière dans la postcolonie et des défis qu’elle pose pour la théorie normative de la traduction qui se base sur le transfert ou l’échange entre systèmes linguistiques ou culturels stables. La littérature postcoloniale, à ses débuts, était écrite dans une langue coloniale qui se prêtait aisément aux pratiques de traduction monolingues, malgré ses spécificités locales. Aujourd’hui, la réalité est celle d’une littérature hétérolingue où plusieurs langues et variétés de langue coexistent, mettant à l’épreuve les principes de traduction monolingue et l’ethnocentrisme qui sont au cœur de la traduction homogénéisante.

Sunugal, Unser Boot, d’Elisabeth Herrlein: Ecriture hybride et traductions entre plusieurs langues

Louis Ndong | DOI: 10.17457/IF/2020.ND | Texte intégral

Produit en allemand, le récit d’Elisabeth Herrlein, Sunugal, Unser Boot, qui se présente comme une œuvre autobiographique , se caractérise par une écriture hybride observable à travers l’incorporation d’éléments d’autres langues. Le wolof, la principale langue de communication des différents personnages joue un rôle important dans le style de l’auteure imprégnée d’une couleur locale africaine, voire sénégalaise. Outre l’incorporation d’éléments du wolof, la langue la plus parlée au Sénégal, on constate, dans le récit, l’usage, parfois « tortueux », du français tel qu’utilisé par certains personnages, comme la narratrice et son mari qui ne maitrisent manifestement pas cette langue. Cette écriture hybride est renforcée par les empreintes de la langue arabe perceptible dans le wolof parlé des personnages, une situation diglossique qui s’explique entre autres par l’impact de l’islam au Sénégal. Par moments, la narratrice procède à des traductions littérales en allemand de (fragments) de textes et/ou d’intertextes wolof dans le flux du récit. En ce sens, l’œuvre d’Elisabeth Herrlein se caractérise par une hybridité linguistique et des mécanismes de traductions à la croisée des chemins entre plusieurs langues et cultures. 

L’hybridité linguistique : une poétique du désarroi social dans le roman africain francophone

Jonathan Russel Nsangou | DOI: 10.17457/IF/2020.NS | Texte intégral

Récurrente dans le roman africain francophone, la poétique de l’hybride n’est pas seulement un simple jeu esthétique ou un phénomène de mode comme le proclame une certaine critique. Elle est aussi un moyen qui permet à certains romanciers de représenter la fragmentation du corps social. Dans Les soleils des indépendances et Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma, Trop de soleil tue l’amour de Mongo Beti et La Folie et la Mort de Ken Bugul, l’hybridité linguistique s’impose comme la forme d’expression privilégiée. Cependant, c’est la façon dont les auteurs s’en servent pour dire le désarroi des personnages et déconstruire l’impasse sociale qui donne force à ces romans.

Les replis de la langue de Mbaam Dictateur de Cheik Aliou Ndao

Ibrahima Wane | DOI: | Texte intégral

Mbaam Dictateur est une adaptation en français de Mbaam aakimoo, roman en wolof resté longtemps dans les tiroirs à cause de politiques éditoriales qui marginalisent les langues africaines. L’auteur a ainsi, pour concilier diverses préoccupations, produit un texte bilingue présupposant un lecteur polymorphe. Cette démarche apporte un éclairage sur les enjeux d’une littérature écrite dans les langues africaines, d’une part, et sur les ressorts de la traduction, d’autre part.

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III. Mélanges

 

Sous les combles de ‘Souvenance’ : de « Bogota, Bogota » à Adieu Bogota

Kathleen Gyssels | DOI:10.17457/IF/2020.GY | Texte intégral

Dans la bibliothèque à Souvenance, sous les combles de leur maison désormais classée «Maison des illustres», André Schwarz-Bart laissa des classeurs avec d’étranges coupures: photos en noir et blanc de personnes mortes, découpées dans des journaux et des revues. La collection pour le moins surprenante m’incite à réfléchir sur l’inspiration schwarz-bartienne, car à côté de lectures nombreuses, diverses, l’auteur du Dernier des Justes se nourrissait aussi de supports visuels, tant picturaux que des photos collectionnées au fil des ans. Tel un morbide loisir, l’auteur semble fasciné par l’«Ars moriendi», ce qui se comprend aisément vu l’histoire tant individuelle que collective de son peuple. De récentes parutions ayant trait à la Shoah, ont recours à la même perspective multidirectionnelle. Dans «Réversibilité», Baudelaire évoque par le «papier qu’il froisse» la manie destructrice de ses essais, au signe premier de «ébauches», «brouillons». L’angoisse devant la page blanche n’étant pas étrangère à l’auteur dont la veuve vient de sortir à titre posthume Adieu Bogota, j’interroge la récurrence du traumatisme dans l’œuvre posthume.