Avant-propos

Benedetta De Bonis et Fernando Funari | DOI: 10.17457/IF/10.2019.DBF | Texte intégral

À la croisée entre les traditions latine et germanique, la Belgique a été, dès sa naissance, un lieu de rencontre/affrontement de langues et d’identités différentes. Cela a permis à maints écrivains belges – polyglottes et ouverts aux autres cultures – de se consacrer à la traduction, à l’adaptation et à la réécriture de classiques européens anciens et modernes. En particulier, ce phénomène a produit des résultats fort intéressants dans le théâtre belge d’expression française, où plusieurs dramaturges – tels que Maurice Maeterlinck, Marguerite Yourcenar, Jean Louvet, Michèle Fabien, Jacqueline Harpman et bien d’autres – ont construit leur œuvre en dialogue constant avec d’autres textes européens. Ce numéro d’Intefrancophonies interroge le phénomène de la réécriture, de la traduction et de l’adaptation dans le théâtre belge d’expression française en envisageant plusieurs approches de recherche : histoire littéraire ; circulation, réception et fortune des classiques européens anciens et modernes ; phénomènes d’intertextualité ; traductologie ; adaptation inter-générique. Une première partie, qui héberge des articles sur différents auteurs, vise à donner un aperçu de l’importance et de l’extension du phénomène dans la littérature belge de langue française, alors qu’un deuxième volet, où une approche monographique est adoptée, porte entièrement sur Michèle Fabien, dramaturge qui a fait de la traduction, de l’adaptation et de la réécriture le noyau de son expérimentation théâtrale, et que l’on veut hommager ici à l’occasion des vingt ans de sa disparition.

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I. Regards croisés sur le théâtre belge

La Princesse Maleine et Pelléas et Mélisande : un Shakespeare figé

Andrea Accardi | DOI: 10.17457/IF/10.2019.ACC | Texte intégral

Le premier théâtre de Maurice Maeterlinck est caractérisé par l’inaction et l’immobilité de l’intrigue et des personnages. C’est pourquoi Peter Szondi parle de drame statique, notamment à propos de deux pièces, Les Aveugles et Intérieur, où le scandale anti-dramatique se manifeste d’une façon systématique et totale. Mais nous nous attachons à montrer que cette sensation de stagnation persiste même dans les pièces où Maeterlinck reprend des modèles traditionnels. L’intrigue de La Princesse Maleine (et en partie celle de Pelléas et Mélisande aussi) vient certes tout droit de Macbeth de Shakespeare, mais la faiblesse des caractères, ainsi que la présence d’un ensemble cohérent de présages et d’un sentiment de fatalité menaçante, finissent par créer un univers de résignation, dominé par la sensation d’un avenir fixé à l’avance. La scène shakespearienne des coups frappés à la porte, qui dans Macbeth succède au meurtre de Duncan, est au contraire placée avant le moment tragique dans Maleine, où elle acquiert une valeur prémonitoire. On observera donc la rencontre entre le théâtre

« Les liens qui rattachent ». R(é)écriture et (re)traduction de Denier du rêve / Rendre à César

Giuseppe Sofo | DOI: 10.17457/IF/10.2019.SOF | Texte intégral

Dans cet article, on analysera la relation entre réécriture, adaptation, traduction et retraduction dans les différentes versions de Denier du rêve, publié une première fois en 1934 et remanié entre 1958 et 1959, avant d’être adapté pour le théâtre en 1961, avec un nouveau titre, Rendre à César. En lisant les versions françaises du texte en parallèle avec les traductions italiennes du roman (1984 ; 2017) et de la pièce (1988), qui permettent à cette histoire italienne de revenir à la langue et aux lieux qui ont inspiré sa création, on va ainsi étudier leurs relations intertextuelles, qui nous révèlent non seulement « les liens qui rattachent certains écrivains à leurs créatures », comme l’écrit Yourcenar, mais aussi ceux qui rattachent leurs créatures à d’autres versions de la même œuvre, dans la même langue ou bien dans d’autres langues, et surtout, dans ce cas précis, dans la langue que parlaient les protagonistes de l’œuvre, l’italien.

Una Yourcenar polifonica. Intervista a Stefania Ricciardi a proposito di Denier du rêve

Giuseppe Sofo | DOI: 10.17457/IF/10.2019.RIC | Texte intégral

Dans cet entretien, Stefania Ricciardi qui a dirigé et traduit la nouvelle édition de Moneta del sogno de Marguerite Yourcenar, publiée par Bompiani en 2017, nous parle de la fluidité du texte de Yourcenar et des raisons qui l’ont poussée à diriger cette nouvelle édition. Grâce à une révision des choix de traduction, et à une étude attentive du contexte linguistique et culturel de l’Italie à l’époque fasciste, nous avons la possibilité de découvrir des aspects de l’œuvre qui étaient en partie cachés par la première traduction et peut-être même par le texte original en langue française.

Réécritures au féminin d’Œdipe roi dans le théâtre francophone. Cixous, Fabien, Harpman, Huston

Benedetta De Bonis | DOI: 10.17457/IF/10.2019.DEB | Texte intégral

Cet article vise à explorer un aspect encore peu connu de la réception d’Œdipe roi : celui des réécritures au féminin de la tragédie de Sophocle dans le théâtre francophone contemporain. Une première partie porte sur les premières pièces ayant Jocaste pour personnage principal et utilisant comme hypotexte le seul drame sophocléen, à savoir Le nom d’Œdipe (1978) d’Hélène Cixous et Jocaste (1981) de Michèle Fabien. Suit un deuxième volet consacré aux textes théâtraux rédigés dans la dernière décennie et s’inspirant d’un nombre plus vaste de sources classiques pour la reconstruction de l’histoire de la souveraine de Thèbes : Mes Œdipe (2006) de Jacqueline Harpman et Jocaste reine (2009) de Nancy Huston. L’analyse menée nous permet d’effectuer, dans la conclusion, quelques considérations sur comment et pourquoi la sensibilité contemporaine de ces écrivaines francophones fort intéressées aux questions féminines/féministes leur a permis de découvrir sous un nouveau jour une des œuvres les plus célèbres de l’Antiquité.

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II. Le cas Michèle Fabien

À la pointe d’un théâtre belge et européen de la fin du XXe siècle

Marc Quaghebeur et Alice Piemme | DOI: 10.17457/IF/10.2019.QUA | Texte intégral

Cet article comporte d’une part un propos de Marc Quaghebeur mêlant analyses au sens usuel et considérations inédites tirées de sa participation à l’histoire intellectuelle et théâtrale des trois dernières décennies du XXe siècle en Belgique, comme de la profonde amitié qui le lia à Michèle Fabien ainsi qu’à son compagnon, Marc Liebens, lequel créa ses œuvres dramatiques. De l’autre, des commentaires d’Alice Piemme, fille de Michèle Fabien, à partir de vidéos de représentations de deux pièces de sa mère.

Una singolare “totalità” : Jocaste, di Michèle Fabien, dalla messa in scena alla traduzione italiana

Gianni Poli | DOI: 10.17457/IF/10.2019.POL | Texte intégral

Cet article examine la Jocaste de Michèle Fabien en suivant quatre pistes analytiques : la mise en scène du drame en 1981 et son inscription dans le contexte théâtral européen ; le rapport entre le langage du texte et celui de la musique ; la fonction de la musique dans la pièce en tant que danse verbale et aspiration à l’art total ; les problématiques liées à la traduction italienne du texte où le traducteur – dont le travail est artisanal et utopique – s’avère nécessairement le co-auteur de l’œuvre.

Michèle Fabien et le théâtre de Pier Paolo Pasolini : « introduire les enjeux du texte dans son propre corps et les ressortir par la parole »

Martina Della Casa | DOI: 10.17457/IF/10.2019.DCA | Texte intégral

Cet article représente la première étape d’une recherche sur les traductions de Michèle Fabien des pièces théâtrales de Pier Paolo Pasolini et vise tout d’abord à mettre en avant les rapports entre les conceptions de théâtre développés par l’une et l’autre et ensuite à analyser le travail de traduction de la pièce Affabulazione. Après une introduction destinée à présenter et à encadrer la problématique, la première partie de cet article se focalise sur l’influence dans la pensée de Michèle Fabien du Teatro di parola (Théâtre de parole) de Pasolini. Suit une partie consacrée à retracer dans Affabulazione une réflexion portant justement sur les points de contacts émergés dans l’analyse précédente. La troisième partie, quant à elle se focalise sur une analyse de la traduction elle même. Pour conclure, le présent article ouvre sur des recherches à venir dans ce domaine encore peu exploré.

Enjeux de la parole théâtrale dans la réécriture de Cassandre de Christa Wolf par Michèle Fabien

Dominique Ninanne | DOI: 10.17457/IF/10.2019.NIN | Texte intégral

Depuis sa pièce-phare, Jocaste (1981), Michèle Fabien donne une voix à des personnages féminins occultés par une tradition patriarcale à première vue inébranlable. Sa relecture des textes classiques s’inscrit dans une volonté de questionnement des Mythes et de l’Histoire. Cassandre (1983) de Christa Wolf séduit Michèle Fabien, car ce roman s’intéresse à un personnage féminin pris dans la guerre, qui parle et cherche. La dramaturge décide de réécrire le texte traduit en français pour le théâtre. Alors qu’une première version est prête en 1987, Cassandre de Michèle Fabien ne passera à la scène qu’en 1995. Le recours aux archives – tapuscrits des différentes versions, notes d’intention, notes personnelles de l’auteur – permettra d’explorer le cheminement de réécriture entrepris par Michèle Fabien, en mettant en évidence les différents choix qu’elle a opérés : forme dialoguée, traitement des personnages et des fils narratifs, propositions de mise en scène. Il s’agira, d’autre part, de soulever les enjeux de cette parole devenue théâtrale : une parole de femmes sur l’Histoire, qui, si elle ne peut rien contre la mort (Cassandre est condamnée), est proférée et écoutée.