Le statut de la note : didascalie ou diégèse

Lise Gauvin | DOI: 10.17457/IF/2023/GAU | Texte intégral

On remarque aisément, dans les littératures francophones, la présence de notes de bas de page qui s’ajoutent au texte du roman et l’encadrent. Ces notes portent la plupart du temps sur les questions de langue, s’apparentant dans ce cas aux lexiques que l’on prend parfois la peine d’ajouter à la suite des ouvrages. J’y décèle un autre signe de la surconscience linguistique qui affecte l’écrivain, surconscience qui est chez lui synonyme d’inconfort mais aussi de création et l’oblige à une mise en scène constante de ses propres usages. Un autre signe également de cette présence des différents publics auxquels s’adresse le romancier. Dans ces conditions, on peut se demander si la note consiste vraiment en un texte d’accompagnement analogue aux didascalies théâtrales, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une partie de la diégèse. En d’autres termes, que nous apprend sur la forme même roman la note infrapaginale et en quoi cette pratique affecte-t-elle et transforme-t-elle la poétique romanesque ? Quelles en sont les fonctions ? Peut-on en établir une typologie ?

« Querelle de Roberval » : traduction et déterritorialisation

Ana Popa | DOI: 10.17457/IF/2023/POP | Texte intégral

Cet article propose une étude comparative entre le roman Querelle de Roberval, publié pour la première fois en 2018 à Montréal, et l’adaptation qui en est proposée dès l’année suivante par Le Nouvel Attila, à Paris, simplement intitulée Querelle. Nous nous intéressons à l’incidence des stratégies traductives et éditoriales retenues par la maison d’édition française sur la représentation du territoire québécois et de ses habitants dans l’œuvre. Notre réflexion porte principalement sur la traduction des sociolectes québécois et ouvrier, ainsi que sur certaines tendances déformantes de la traduction française de l’œuvre. Édulcorant le parler des journaliers de Roberval, le projet de traduction du Nouvel Attila semble contradictoire : comment peut-on affirmer vouloir faire connaître un roman québécois à un lectorat étranger si ce n’est que pour lui retirer ce qu’il a de « québécois » ?

Tromper la langue, doubler la traduction : traduction intralinguale et jeu de(s) mots dans « Le désert mauve » (1987) de Nicole Brossard

Mathias Verger | DOI: 10.17457/IF/2023/VER | Texte intégral

Le désert mauve (1987) de l’autrice québécoise Nicole Brossard est un roman postmoderne et féministe qui se construit sur la mise en fiction d’une traduction intralinguale. Cette fiction de traduction présente en une seule langue (le français) un original fictif (le roman Le Désert mauve de Laure Angstelle) et une traduction fictive (Mauve, l’horizon de Maude Laures). En multipliant les effets de brouillage entre les niveaux fictionnels, entre les personnages du roman et les personnages d’autrices, de narratrices et de traductrices, en effaçant aussi les frontières entre la langue censée être originale (supposément l’anglais, même si aucune mention précise n’est faite de la langue originale) et la langue de traduction, le texte vertigineux de Nicole Brossard se compose comme un kaléidoscope de voix, de perspectives et de bribes narratives qui se ressemblent et se recoupent pour mieux se différencier. L’univers quasiment exclusivement féminin du roman de Nicole Brossard rejoue à un autre niveau cette tension entre le même (le genre féminin et l’amour lesbien) et la différence (l’individuation des figures féminines malgré les nombreux effets de parallélisme entre ces dernières).

La traduction intralinguale entre Québec et France : le cas du glossaire comme espace d’accommodement et de conflits

Myriam Vien | DOI: 10.17457/IF/2023/VIE | Texte intégral

De nombreuses œuvres littéraires québécoises rééditées pour le marché éditorial français, se dotent d’un glossaire destiné à rendre intelligibles certaines expressions ou faits de langue typiques du français du Québec. Il s’agit d’une forme de traduction intralinguale qui fige non seulement l’identité de la culture de départ en sélectionnant des mots perçus comme exemplaires d’une variété de langue qui résiste à la culture d’arrivée, mais dessine aussi le portrait du public cible à partir des informations qu’il juge nécessaire de lui communiquer. Cet article propose l’analyse des glossaires de trois romans québécois, parus d’abord au Québec puis édités plus tard en France : La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen (Le Quartanier 2014 ; Points 2021), La bête à sa mère de David Goudreault (Stanké 2015 ; Philippe Rey 2018) et Six degrés de liberté de Nicolas Dickner (Alto 2016 ; Points 2018). Nous nous interrogerons donc sur l’image du Québec et de sa langue véhiculée par chaque glossaire en se demandant en quoi ces paratextes participent à la construction d’une représentation symbolique de l’altérité linguistique. 

Les guides de français québécois pour touristes nous en donnent-ils pour notre argent ? Petite exploration thématique

Nadine Vincent | DOI: 10.17457/IF/2023/VIN | Texte intégral

Depuis quelque temps, plusieurs éditions de guides linguistiques du français québécois sont disponibles en librairie, rédigés par des non-linguistes, et destinés principalement aux touristes de langue française. En raison de leur présentation et de leur accessibilité, ils constituent des succès de librairie et sont souvent une première fenêtre sur la variété québécoise de français pour les francophones qui visitent le territoire. Nous étudions ici cinq de ces guides à partir d’une question concrète qui touche toute personne venant d’un pays étranger : comment parle-t-on d’argent au Québec? Premier contact inévitable pour les visiteurs, la dénomination de la monnaie canadienne et le décodage des expressions qui y sont liées peuvent constituer un véritable défi pour les non-initiés. Après l’analyse des guides, nous proposons un traitement différent de la question en fonction du même public cible.

De l’insécurité énonciative à la traduction intralinguale dans les écritures hétérolingues

Moussa Sagna, Moussa Diène | DOI: 10.17457/IF/2023/SAG | Texte intégral

Dans les lignes qui suivent, nous discuterons de la traduction intralinguale dans le champ romanesque africain d’expression française. En nous appuyant sur Monnè, outrages et défis de Kourouma, notre ambition est d’analyser comment on est passé de l’insécurité énonciative à une traduction intraliguale. On sait que les romanciers africains francophones n’adhèrent pas aux conceptions de la langue proposées par les instances de légitimation. Cette contestation a abouti à la mise en place de stratégies discursives qui permettent à leurs récits de déconstruire un imaginaire culturel fortement bouleversé par la colonisation.

Le rap dictionnairique en Afrique centrale : entre traduction intralinguale et décolonialité du français

Laude Ngadi Maïssa | DOI: 10.17457/IF/2023/LNM | Texte intégral

Nous proposons une lecture décoloniale de la langue française à partir des œuvres des rappeurs camerounais et gabonais. Nous défendons la thèse selon laquelle la traduction intralinguale, dans un corpus que nous rapprochons du « dictionnaire parodique », sert à réagir à la prégnance de la langue de la francophonie, symbole des relents néocoloniaux de la France, et à la menace de la disparition des langues vernaculaires. En prenant le parti de lire « l’imaginaire de la traduction », les quatre sections de l’article mettent en évidence la façon avec laquelle les artistes vulgarisent le Camfranglais et le Toli Bangando. Le corpus est constitué de Bilangoum (2008) de Movaizhaleine, Gromologie (2017) de Koppo et Toli bangando (2021) de Rodzeng et L’Oiseau Rare. Les mécanismes esthétiques de la traduction intralinguale étayent ainsi les ambitions des rappeurs qui contestent particulièrement l’exclusivité du français dans les systèmes d’apprentissage des pays anciennement colonisés et la paupérisation accentuée par la connivence entre l’élite politique et l’ancienne puissance colonisatrice.

Traductions de traductions : Dante entre France et Belgique

Fernando Funari | DOI: 10.17457/IF/2023/FUN | Texte intégral

Traduire Dante en français, c’est s’inscrire dans une très longue histoire retraductive où le dialogue du nouveau traducteur avec les précédents obscurcit souvent le rapport au texte original. C’est le cas de Pierre Poirier, juriste et homme de lettres belge, qui publie en 1945 une anthologie des textes de Dante dans laquelle il réadapte ou réécrit des passages de traductions existantes de la Commedia, en l’occurrence celle de Louise Espinasse-Mongenet, datant de 1912. La relation entre les deux textes fera l’objet de cet essai, qui s’appuie également sur des analyses statistiques d’un corpus informatique de 52 traductions françaises de l’Inferno, ainsi que sur des méthodologies ecdotiques propres à la philologie d’auteur.

 

Mélanges

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Révérends Pères vêtus de Blanc et Sauvages nus peints de rouge. Variations sur le thème de la nudité des Indiens Caraïbes dans les chroniques françaises de la colonisation des XVIIe-XVIIIe siècles

Alessandro Costantini | DOI: 10.17457/IF/2023/COS | Texte intégral

Les Chroniques, Relations et Histoires concernant la Caraïbe au cours de sa colonisation de la part des Français, au XVIIe-XVIIIe siècles, sont nombreuses : elles sont l’œuvre de missionnaires, voyageurs, voire de flibustiers. Différents sont les mobiles qui les y amènent et qui les poussent à rendre compte de ce qu’ils voient ; cependant, même dans la diversité de leurs points de vue et de leurs styles d’écriture, nombreuses sont les constantes thématiques que leurs textes présentent : entre autres, l’aspect des Sauvages Caraïbes, leur nudité totale ou presque. À partir de plus d’une vingtaine de textes, rédigés et/ou publiés entre 1617 et 1730, ce travail se propose de rendre compte de toutes ces observations et d’en dresser un bilan critique : des faits observés et aussi – et surtout – de la manière de les observer.