Avant-propos. L’écriture translingue vue du ciel

Alain Ausoni |DOI: 10.17457/IF9_2018_AVP | Texte intégral

Une majorité de la population mondiale parle plus d’une langue au quotidien. Que ce phénomène touche aussi la littérature, voilà ce qu’on semble redécouvrir à l’heure de la globalisation des histoires littéraires et des questions sur la place du français dans le monde. Ces dernières années, la pratique des écrivains faisant littérature dans une langue acquise tardivement – ici appelée translinguisme littéraire ou écriture translingue – a connu une nette montée en singularité. Pour faire le point sur ce phénomène, ce dossier donne la parole à un écrivain ; retrace l’émergence et les usages de la catégorie littéraire translingue ; mais surtout réunit des articles de jeunes chercheuses qui exemplifient la diversité et la complémentarité des approches critiques développées pour l’appréhender, en une remise en cause productive de l’idée qu’on se fait de la francophonie littéraire.

L’Ignorance de Milan Kundera : Pour en finir avec le Grand Retour odysséen

Liana Pshevorska |DOI: 10.17457/IF9_2018_PSH | Texte intégral

Dans L’Ignorance (2003), Milan Kundera explore le retour au pays natal de deux émigrés tchèques après la chute du communisme en 1989. Dans un dialogue avec et contre LOdyssée d’Homère – ce mythe archétypal du nostos – Kundera dénonce le paradigme du Grand Retour dans la vie des exilés modernes. L’article se propose d’examiner la tension entre cette position auctoriale et le parcours de l’un de ses personnages principaux qui bute sur le récit culturel du retour comme obligation morale, en tant qu’attrait « ancestral », et comme idée reçue. Même si le modèle odysséen est incompatible avec l’ère moderne, l’idée d’appartenance au pays natal continue à inspirer certains principes éthiques des sociétés et, à certains égards, à hanter les actions des exilés eux-mêmes. Bien que pour Kundera l’idée du non-retour constitue une évidence, pour son personnage – pris entre la révolte et l’abandon – le refus du nostos n’est pas axiomatique, mais découle plutôt d’une négociation équivoque de la mythologie du « chez soi ».

Danse noire de Nancy Huston et le narcissisme du texte translingue

Alice Duhan |DOI: 10.17457/IF9_2018_DUH | Texte intégral

À partir de la lecture de Danse noire (2013), récent roman de Nancy Huston qui se caractérise par une approche introspective et parfois ludique de l’écriture translingue, cet article invite à réfléchir sur les points de convergence entre les tournants « translingue » et « mondial » de la littérature contemporaine. En nous souvenant de l’usage qu’a fait Hutcheon (1980) du terme « narcissisme » pour désigner la tendance du genre romanesque à s’intéresser à ses propres processus textuels et créatifs, nous appellerons « narcissisme translingue » les diverses façons dont ce roman se regarde – par sa forme et par ses thèmes – comme fiction et comme écriture à la croisée des langues. Par son narcissisme diégétique et plurilingue, ce roman se montre sensible à l’hétéroglossie mondiale à une époque où la littérature commence à se penser en langues, au-delà des contours des cultures nationales particulières.

Postures francophones translingues. L’exemple de Ying Chen

Sara De Balsi |DOI: 10.17457/IF9_2018_DEB | Texte intégral

Nous proposons d’étudier la posture littéraire des écrivains francophones translingues à travers l’exemple de l’écrivaine francophone d’origine chinoise Ying Chen. Nous formulons l’hypothèse que chez les écrivains francophones translingues la posture est en étroite connexion avec l’imaginaire des langues, que nous proposons donc d’étudier conjointement, comme deux aspects d’une même question. En nous focalisant particulièrement sur le documentaire Voyage illusoire et sur le recueil de textes autobiographiques divers Quatre mille marches, nous montrons comment l’auteure passe d’une posture d’écrivaine intégrée dans son pays d’accueil, associée à la revendication d’une passion pour la langue française, à une posture d’étrangeté radicale, qui passe par le refus de tout enracinement et proclame la nécessité d’une littérature « pure », complètement privée d’ancrage national, ethnique et même linguistique.

Entretien avec Daniel Maggetti

Alain Ausoni |DOI: 10.17457/IF9_2018_MAG | Texte intégral

Né au Tessin, Daniel Maggetti a fait des études de lettres à l’Université de Lausanne, où il a soutenu une thèse consacrée à L’Invention de la littérature romande 1830-1910 (Payot, 1995). Professeur à l’Université de Lausanne et directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes, il conduit de nombreux projets de recherche et d’édition critique. Menée en parallèle, son activité littéraire explore diverses formes de récit, à la frontière de l’autobiographie et de la fiction. Le récit Chambre 112 (L’Aire, 1997) lui a valu le prix Michel Dentan ; Les Créatures du Bon Dieu (L’Aire, 2007) le Prix Lipp Suisse ; et son dernier roman, La Veuve à l’enfant (Zoé, 2015), figurait parmi les douze livres suisses recommandés par Pro Helvetia pour la traduction à la Foire du livre de Francfort. Dans cet entretien avec Alain Ausoni, il retrace son parcours entre les langues et évoque certaines caractéristiques de sa pratique littéraire, de « l’emmêlement des langues » à l’expression du « rapport étroit » qu’il entretient avec la géographie de la région où il est né.

Singulariser l’écriture translingue : une catégorie littéraire et ses usages

Alain Ausoni |DOI: 10.17457/IF9_2018_AUS | Texte intégral

Cet article de synthèse cherche à contextualiser l’émergence de la catégorie littéraire translingue. Survolant certains gestes critiques et certaines interventions d’écrivains, on verra que de récentes focalisation sur le fait translingue ont servi à dépasser le traditionnel clivage entre les littératures française et francophones, mettre en lumière la spécificité de la condition de l’écrivain hors-sa-langue et signaler la littérarité préservée du français.

 

 

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Mélanges

Imaginaire subsaharien et représentations de la figure du sorcier chez Alain Mabanckou

Aetius Bassintsa-Bouesso |DOI: 10.17457/IF9_2018_BAS | Texte intégral

Cette contribution se veut une lecture des romans d’Alain Mabanckou, dans leur rapport à des représentations servant de soubassement à la construction de la figure du sorcier. Nous y étudions par ailleurs les schèmes qui rendent compte des croyances structurant l’imaginaire subsaharien, notamment celles qui concernent la survenue d’infortunes en tous genres auxquelles il faut faire face dans la vie communautaire. De ce point de vue, l’article revêt autant un intérêt anthropologique que littéraire. Les petits-fils nègres de Vercingétorix, Tais-toi et meurs, Verre Cassé et Mémoires de porc-épic sont les ouvrages qui composent le corpus à l’étude. On découvre précisément dans ces derniers, des personnages particulièrement enclins à mobiliser des forces occultes dans de pareilles situations existentielles. Cela va sans dire que chez Mabanckou, la fiction romanesque s’érige en réceptacle d’un répertoire d’usages sociaux accréditant un certain ésotérisme.

Figures de l’immigration dans Ahmed le Subtil d’Alain Badiou

Hamdi Hemaidi |DOI: 10.17457/IF9_2018_HEM | Texte intégral

Dans Ahmed le Subtil, pièce de théâtre écrite par le philosophe et dramaturge français Alain Badiou, la problématique de l’immigration est abordée à travers les rapports qu’entretiennent des figures collectives et individuelles représentatives des étrangers avec les autochtones, en particulier avec les hommes et les femmes politiques de droite et de gauche et avec les partisans de l’extrême droite. Cela fait transparaître des appréciations négatives révélant racisme, xénophobie et manœuvres à visée électoraliste. Mais cela met surtout en évidence les qualités exceptionnelles dont jouit Ahmed, le héros de la pièce. En digne héritier de Scapin, celui-ci use de son intelligence, de sa dextérité et de sa parfaite maîtrise de la langue française pour dévoiler le jeu sordide des politiciens de tous bords et des adeptes de la haine, pour venir en aide aux jeunes amoureux issus de cultures différentes et pour pourfendre les idées reçues sur les étrangers. Badiou décortique ici, par le moyen du farcesque, les mécanismes qui sont derrière la peur des Barbares et qui constituent un obstacle majeur au vivre-ensemble.

Étude structurale et comparée d’un conte ivoirien de la pédagogie de la peur et d’une fable lafontainienne

Yao Lambert Konan |DOI: 10.17457/IF9_2018_KON | Texte intégral

L’étude montre que le récit oral, plus spécifiquement le conte et la fable, est porteur d’un certain nombre d’empreintes idéologiques du peuple qui l’a engendré. Ainsi, en dépit de leurs différences formelles et issus, parfois, de divers horizons culturels, ces récits peuvent traiter du même thème, en fonction de la sensibilité des auteurs et du message véhiculé. Tel est l’exemple du cycle de la jeune fille difficile abordé dans les espaces ivoirien traditionnel et français de l’Âge classique. Les identités culturelles remarquables relevées, de part et d’autre, dans les récits examinés, instruisent sur l’universalité du genre oral, et sa participation à la découverte de l’Autre, fondement de l’interculturalité.

De l’engagement politique à la pensée transculturelle : les stratégies des éditeurs haïtiens au Québec face à l’expérience de l’exil

Michał Obszyński |DOI: 10.17457/IF9_2018_OBS | Texte intégral

Déclenché vers les années 1960 par la dictature duvaliériste, l’exil des intellectuels haïtiens bouscule la vie artistique et littéraire d’Haïti. Les persécutions politiques subies dans la patrie et les difficultés quotidiennes rencontrées dans les pays d’accueil (surtout la France et le Canada) n’intimident pourtant pas les écrivains haïtiens qui se mettent à organiser une activité littéraire dynamique. Particulièrement animée au Québec, cette dernière est marquée, entre autres, par la fondation des premières maisons d’édition haïtiennes à l’étranger, à savoir Nouvelle Optique, les Éditions du CIDIHCA et Mémoire d’encrier. Dans cet article nous nous proposons d’examiner le rôle de ces trois maisons d’édition haïtiennes installées au Québec dans le processus d'un certain renouveau de la littérature haïtienne qui passe, depuis les années 1960 à nos jours, d'un repli identitaire défensif à un relatif épanouissement sous le signe de l'ouverture à l'Autre.

La contribution de la littérature orale à la stabilité des sociétés : cas du mythe du développement durable

Vincent Ouattara |DOI: 10.17457/IF9_2018_OUA | Texte intégral

Le mythe est un savoir local qui est présent dans toutes les civilisations. Pour Malinowski, il est le reflet d’une culture qui n’a pas encore conceptualisé ses principes fondamentaux en langage philosophique. Avec Lévi-Strauss, il passe de la pensée pré-philosophique à la pensée à part entière. Les mythes ne sont pas que le propre des sociétés traditionnelles. Aujourd’hui il existe des mythes modernes qui veulent contribuer à la stabilisation et au développement des sociétés. Le développement durable n’est-il pas de ceux-là ? Ce concept intervient dans un monde où les idéologies de nivellement culturel, renvoyées entre temps aux calendes grecques, reviennent au galop pour soumettre des peuples et leurs cultures à une forme de dictature de la pensée unique marquée du sceau de la rationalité et du développement.

Édition dans la Caraîbe francophone face aux défis de l’industrialisation. Entretien avec Florent Charbonnier, fondateur et directeur de Caraïbéditions

Michał Obszyński  |DOI: 10.17457/IF9_2018_CHA | Texte intégral

Florent Charbonnier, fondateur et directeur de Caraïbéditions, présente l’histoire de sa maison d’édition, sa ligne éditoriale ainsi que ses projets éditoriaux à venir. En partant de son propre cas, il aborde également le sujet des conditions de fonctionnement des éditeurs dans le champ éditorial francophone, confrontés à la puissance de l’industrie éditoriale de l’Hexagone et au poids symbolique de la littérature française. 

 

La littérature antillaise en attente d’un nouveau souffle. Entretien avec Raphaël Confiant, romancier

Michał Obszyński |DOI: 10.17457/IF9_2018_CON | Texte intégral

Raphaël Confiant, romancier et universitaire, présente sa vision de la littérature antillaise contemporaine, les conditions socio-économiquesdans lesqulles elle évolue et la place qu’elle occupe dans le champ littérairefrancophone. Il se penche également sur les nouveaux moyens de diffusion et de promotion de la littérature et parle de ses recherches esthétiques récententes.