Aperçu - Numéro 4

Molière est l’auteur français qui conquit, de manière exceptionnelle, la scène arabe et africaine. D’ailleurs, la première pièce montée dans un pays arabe est une adaptation de L’Avare en 1848 à Beyrouth, comme les premières pièces africaines s’inspiraient également de textes de Molière. Les premiers auteurs connaissaient ses textes et étaient souvent séduits par la veine comique et le choix des thèmes qui leur semblaient familiers. Aussi, cherchaient-ils à adapter ses pièces et à leur donner un caractère local en modifiant noms de lieux et de personnages, mais en conservant la structure d’ensemble. Molière était un modèle idéal.
Molière fut réutilisé, adapté par de nombreux auteurs qui ne citaient jamais son nom et qui n’hésitaient pas à reproduire des thèmes, des jeux de situations et la structure des pièces de ce grand écrivain français vite adopté par de nombreux auteurs francophones qui s’y retrouvaient dans sa manière de traiter les questions sociales et des problèmes humains (amour, amitié, jalousie…) et qui s’identifiaient rapidement à des personnages en butte avec l’hypocrisie, le mensonge et la lâcheté. Ces sujets étaient déjà abordés dans les contes et les récits de la littérature orale.
Le comique attirait le public populaire qui voyait sur scène les «maîtres» ridiculisés et fragilisés par des procédés comiques exceptionnels. De nombreux auteurs traduisirent et/ou adaptèrent des pièces de Molière. L’Avare, Tartuffe, Le Malade imaginaire, Le bourgeois gentilhomme, Le médecin malgré lui et Les Fourberies de Scapin sont les textes les plus joués en Afrique.

L’œuvre de Molière, qui recourt à la satire directe des mœurs contemporaines et qui est un retour aux procédés de la farce (symétrie, répétitions, grossissement, comique mécanisation), ne pouvait ne pas interpeller les auteurs francophones qui, dans de nombreux cas, suivant la logique de Molière, font du rire un instrument aux mains d’un satirique engagé dans un combat moral et social.

Nous sommes souvent dans une opposition marquée entre des personnages sympathiques et des personnages antipathiques. Pour l’auteur, la comédie exprime souvent une morale collective, le rire est la réaction commune de tout le parterre.Molière fut extrêmement exploité par les auteurs qui appréciaient énormément la dimension comique et la pertinence des sujets traités dans ses textes. L’aspect satirique et le choix des personnages constituaient les éléments-clés permettant de transposer deux formes dramatiques dans une sorte d’espace syncrétique. Le rire, dans les pièces de l’auteur français, n’est jamais gratuit. Molière devenait, grâce à la force dramaturgique et à la dimension comique, un écrivain « africain», « arabe ».
L’attrait de Molière était-il sous-tendu par la présence de repères culturels et sociologiques similaires ou correspondait-il à une demande sociale ? Le choix du comique participait-il du discours idéologique des auteurs, voulant révéler les contradictions de la société, en contournant les jeux tragiques de la censure ? Comment cohabitaient les deux structures de représentation autochtone et théâtrale ? Le comique permettait-il une meilleure expression ? Molière investissait-il les territoires de la représentation théâtrale dans les pays francophones de la même manière ou les auteurs de chaque région réagissaient autrement ? C’est autour de ces questionnements que s’articulera notre numéro consacré au comique et à Molière dans les théâtres francophones.

Ahmed Cheniki (Université d’Annaba, Algérie)